LA GABELLE : L'IMPOPULAIRE TAXE SUR LE SEL
Gabelle, gabelous et faux-sauniers : Sous l’Ancien Régime, une des taxes perçues par l’administration royale était la gabelle, à laquelle était soumise la vente du sel. Cet impôt était lourd et particulièrement détesté par la population.
Vers le milieu du XVIe siècle (en 1549 et 1553), certaines provinces s'étaient rachetées et rédimées de tout impôt sur le sel en payant, une fois pour toutes, une grosse somme au fisc. La Haute-Marche était du nombre de ces provinces dispensées de la gabelle alors que le Berry y restait soumis. C’est ainsi qu’Aigurande-en-Marche et Aigurandette n’avaient pas à payer la gabelle, alors qu’Aigurande-en-Berry devait la supporter.
Dans ces conditions, la contrebande s’en donnait à cœur joie à la frontière entre les deux provinces. Le pouvoir royal avait mis en place une administration (dont les membres étaient nommés les gabelous) chargée de lutter contre les contrebandiers (nommés les faux-sauniers). À Aigurande, un petit chemin, par de savants détours, reliait le Berry à Lourdoueix-Saint-Pierre sans avoir à craindre les regards indiscrets. Il portait dès 1582 le nom de « chemin des sauniers » (de ce chemin qui allait du Merin à Lourdoueix, il ne reste plus que deux extrémités : il arrive à Lourdoueix au hameau des Bois au niveau d'une petite croix).
Ces luttes incessantes entre gabelous, symboles d’un pouvoir despotique haï, et faux-sauniers, qui avaient le soutien populaire, ont parfois donné lieu à des épisodes sanglants et à des révoltes durement réprimées. Un exemple dans notre contrée en a été l’émeute de Noël 1667 à Fresselines et Chéniers.
L’émeute de Noël 1667 à Chéniers et Fresselines : Pour limiter la contrebande du sel entre provinces soumises à la gabelle et provinces qui en étaient dispensées, Louis XIV et son ministre Colbert avaient, dès 1660, décidé de créer, de part et d’autre de la frontière entre ces provinces, une zone de cinq lieues, à l’intérieur de laquelle le commerce du sel serait sévèrement contrôlé. Ceci fut concrétisé par un arrêté royal du 7 juin 1667.
La population rurale dans la région de Fresselines et Chéniers s’imagina que les mesures prises visaient à rétablir la gabelle et une troupe de révoltés, emmenée par François GRELET, se forma aux alentours de Noël 1667. Le 28 décembre, un groupe de 700 à 800 hommes se rassemble à Chéniers, assiège et pille les postes de Chéniers et Fresselines où un contrôleur, Jean RIDEL est assassiné. Les représailles ne se firent pas attendre : 84 personnes furent capturées, le reste des insurgés s'enfuit dans la campagne environnante. Un procès débuta le 4 mars, avec 205 accusés dont 106 par contumace ; le 8 mars, 34 peines de mort furent prononcées dont 30 par contumace ; 2 d'entre eux furent condamnés à faire amende honorable « pied et teste nües, en chemise, la hard au col tenant chacun une torche de cire ardente, du poids de 2 livres au-devant de la principale porte de l'église paroissiale d'Aigurande et là à genoux, demander pardon à Dieu, au Roi et à la Justice ; ce fait étant conduit en place publique de ladite ville pour être rompus vifs, les bras, cuisses et jambes par ledit exécuteur. »
Les 26 autres condamnés à mort devaient être « pendus et étranglés » dans la même ville mais seuls 2 d'entre eux se trouvaient entre les mains de la justice.
Pour les autres accusés, furent prononcés :
- 7 condamnations aux galères à perpétuité ;
- 10 condamnations à 3 ans de galère (7 par contumace) ;
- 2 bannissements à vie ;
- 2 condamnations « à estre fustigés et battus de verges, puis marqués et flétris d'un fer chaud à l'épaule » ;
- 2 enfin à être « simplement » battus de verges.
Ceux qui devaient être exécutés furent alors conduits à Aigurande où ils subirent leurs peines devant une foule considérable. Après le supplice, on exposa les corps plusieurs jours de suite « aux avenues dudit pont de Chéniers sur le grand chemin dudit bourg de Fresselines et Aigurande » afin de frapper les esprits de ceux qui, de près ou de loin, avaient participé aux troubles. Trois condamnés à mort par contumace furent arrêtés peu de temps après et suppliciés à Fresselines.
Aigurande eut dès lors une brigade composée d'un capitaine, d'un lieutenant et de cinq cavaliers chargés « de la conservation des gabelles de France » et désignés vulgairement sous le nom de « gabelous ».
Aigurande exonérée de gabelle : La situation changea bientôt. On assure que c'est par les soins d'Anne de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, alors dame d’Aigurande, que, pour éviter la gabelle, Aigurande fut détachée de la province du Berry et réunie à la Marche. Il semble bien en effet que, en 1680, cette modification était un fait accompli. Dans l'ordonnance de Louis XIV sur les gabelles du mois de mai de cette année-là, on lit le nom d'Aigurande parmi ceux des paroisses non sujettes aux droits des gabelles.
Cependant, comme la ville était limitrophe d'un pays de gabelle, le commerce du sel y était réglementé. Les familles devaient aller le chercher loin, en Marche, pour l’obtenir détaxé.
Tout cela n'empêchait pas la fraude de continuer entre la Marche et le Berry et la brigade de gabelous d'Aigurande fut maintenue jusqu’à la Révolution. La gabelle fut abolie par l'Assemblée nationale constituante le 1er décembre 1790 mais l'impôt sur le sel réapparut néanmoins en 1806 sous Napoléon Ier. Supprimé à nouveau pendant la Seconde République, il ne fut supprimé définitivement que par la loi de finances de 1945.
Jusqu'au début du XXe siècle, les petits garçons d'Aigurande avaient un jeu qui consistait à se diviser en deux bandes. Au signal convenu, une des deux bandes se précipitait sur l'autre et la poursuivait à coups de mouchoir solidement noué à cet effet. On appelait ce combat le jeu des gabelous en souvenir assurément des officiers de la gabelle poursuivant les faux-sauniers.
Sources :
- MARTIN Gabriel, Aigurande depuis l’époque gauloise jusqu’à nos jours, P. Amiault-Imprimeur-Editeur, Guéret,1905
- MÉTRICH Jacques, « L’émeute de Chéniers. Un exemple de résistance à la fiscalité au XVIIe siècle », Mémoire de la Société des Sciences Naturelles Historiques et Archéologiques de la Creuse, tome 42, 2e fascicule, 1985